Chapitre 5

Le cœur battant à tout rompre sous l’effet de sa terreur, Kamila scrutait les marches défilant devant ses yeux. Le Viking avait de toute évidence accepté la proposition du barman de rester dans les sous-sols du club en attendant le lever du jour pour quitter Chicago. C’était une bonne chose. Cela offrait une possibilité à la vampire de fuir. Maintenant que Dragomir ne voulait plus d’elle au palais, elle ne pouvait plus compter sur lui pour la protéger de James. Et si le sorcier avait découvert qu’elle avait perdu la protection du patriarche des Ivanov… il allait se lancer à sa recherche. Il pouvait même déjà l’avoir fait. Ce métamorphe avait mentionné Bucarest. James était le seul surnaturel assez puissant vivant dans cette ville envers qui un royal pouvait avoir une dette. En tant que jeteur de sortilèges, il était souvent sollicité par les royaux et différents leaders de clans, toutes espèces confondues, pour obtenir un sort. Et puisque James ne faisait jamais rien sans paiement, lorsqu’il n’avait rien qui l’intéressait à l’instant du pacte, le client se retrouvait avec une dette à payer. Le sorcier pouvait venir la récolter à n’importe quel moment et pouvait exiger n’importe quoi. Pendant les cent ans qu’elle avait passés à ses côtés, Kamila l’avait vu gérer ses affaires. Alors elle craignait de s’être fait avoir. Si le patron du Pénombre aidait un solitaire à la ramener à Bucarest, cela était certainement pour la livrer à James…

Cette idée fit trembler Kamila. Elle ne voulait pas y retourner… Elle ne voulait plus jamais revoir James. Lorsqu’elle avait remis Devika et Roxie en pensant agir sous la volonté de son patriarche, la jeune femme avait ressenti toute la noirceur du sorcier l’envelopper. Il avait tenté de lui rappeler le bon vieux temps. Celui qu’ils avaient passé ensemble dans son atelier et qui la hantait depuis trois-cent-soixante-dix ans. Un instant, elle avait même craint qu’il l’empêche de partir. Kamila avait dû lui rappeler que Dragomir l’attaquerait avec tout le conseil de vampires s’il osait la retenir contre son gré. Mais à présent que son frère l’avait abandonnée, elle ne pourrait plus user de la même ruse pour éloigner James. Alors, elle ne voulait pas le revoir. Car si cela arrivait, la princesse savait qu’elle se retrouverait prise au piège. James était bien trop obsédé par elle pour laisser tomber. Il fallait qu’elle fuie !

Tentant de garder son calme malgré la terreur qui gonflait ses veines, la princesse retint un petit cri lorsque le métamorphe la laissa tomber sur une surface molle. D’instinct, elle se recroquevilla au fond du canapé, scrutant les alentours, les yeux grands ouverts. Ils se trouvaient dans un loft luxueux et très spacieux. Il n’y avait aucune fenêtre par laquelle fuir et le métamorphe referma la porte derrière lui. Rivant toute son attention sur le Viking, Kamila déglutit bruyamment lorsqu’il tourna la tête dans sa direction. Son expression irritée alliée à son air sévère accentua la peur de la princesse.

Si Kamila avait été une grande guerrière il y a cinq cents ans, aujourd’hui, elle n’était que l’ombre d’elle-même. Elle n’avait plus combattu un seul adversaire depuis des décennies et elle s’était ramollie. Elle n’avait aucune chance de prendre le dessus sur ce Viking pour s’enfuir. Elle allait devoir utiliser la ruse. Cette pensée crispa la jeune femme car son esprit était encore troublé par la magie des faes. Elle allait peiner à mettre en œuvre une stratégie… Ou peut-être pas, pensa-t-elle après coup, sentant le calme qu’elle avait éprouvé sur la piste de danse revenir. Puisque l’hydromel faisait toujours effet, elle n’avait pas à lutter contre ses émotions en vrac et cette petite voix au fond d’elle qui ne cessait de lui rappeler son séjour chez James. Son esprit était bien plus clair qu’il pouvait l’être sans la magie des faes. Alors elle devait utiliser cela pour fuir avant d’être dévorée par son mal-être et de se retrouver sans défense face à l’ennemi.

—  Qui… Qui es-tu, métamorphe ?

Se forçant à se détendre sur le canapé, Kamila ne lâchait pas le solitaire des yeux.

—  Tu es l’un de ses mercenaires ? Je sais qu’il engage parfois des trafiquants de solitaires pour lui ramener des cobayes.

—  Des cobayes ? répéta le Viking, fronçant davantage les sourcils.

Il ne savait pas ce que James faisait avec les surnaturels qu’il lui remettait ? Cela pouvait être une bonne chose pour elle. Les soi-disant recherches que menait le sorcier sur les différentes espèces étaient abjectes. Si elle parvenait à convaincre le métamorphe qu’il la condamnerait en la ramenant à Bucarest, il la laisserait peut-être partir.

—  Que crois-tu qu’il fasse avec les surnaturels que tu lui remets ? Toi ou les autres trafiquants ? J’ai passé cent ans à ses côtés. Je l’ai vu torturer ces pauvres âmes d’une manière que je ne souhaiterais même pas à mon pire ennemi. Le sorcier apprécie tout particulièrement de jouer avec les métamorphes. Votre espèce contient de si nombreuses variantes qu’il est fasciné par vos caractéristiques. J’ai vu les tiens être enfermés et enchaînés dans une petite cage à peine assez grande pour un costaud de ton gabarit. Je l’ai vu les forcer à se transformer pour les étudier comme de véritables rats de laboratoire… Et il ne s’est pas limité à la race. Hommes, femmes, enfants… Il y en a eu des dizaines. Des centaines… Si tu me conduis à Bucarest, mon nom se joindra à celui de ses victimes.

Inspirant profondément, Kamila se releva et recoiffa sa longue crinière dorée nerveusement. Elle fit un pas mal assuré vers le métamorphe. Puis un autre et un autre jusqu’à se retrouver face à lui. L’impression d’être toute petite face à cette montagne de muscles lui arracha un frisson le long de la colonne vertébrale et elle regretta de ne pas s’être davantage entraînée ces derniers siècles. À une époque, elle ne se serait jamais sentie aussi fébrile face à un métamorphe. Face à aucun surnaturel d’ailleurs. Elle avait su développer sa force de royale à la perfection pour être une guerrière féroce. Mais aujourd’hui, elle était si mince et faible qu’elle n’avait qu’un seul moyen de se protéger : la séduction.

Ce n’est pas le moment d’avoir de l’orgueil, pensa-t-elle en levant la tête pour soutenir le regard indéchiffrable du Viking. De toute façon, après avoir offert son sang comme elle l’avait fait à de vulgaires solitaires, elle ne pouvait pas tomber plus bas en tant que princesse. Son instinct de survie et sa peur la guidèrent. L’estomac noué, elle tendit la main vers le métamorphe et la posa sur sa poitrine. Elle chercha à se montrer sensuelle dans ses gestes. Enjôleuse. Mais n’ayant plus fait ça depuis des décennies, ses mouvements étaient gauches et maladroits. Ils crispèrent le métamorphe un instant qui la regarda sans comprendre à quoi elle jouait.

—  Je ne veux pas y retourner, souffla-t-elle tout bas, contrôlant le tremblement de sa voix. Alors, si tu me laisses partir… Je pourrais être gentille avec toi. N’as-tu pas envie de découvrir quel goût les lèvres d’une princesse ont, Viking ?

Kamila ne comptait pas vraiment s’offrir à ce type. Elle n’avait aucune garantie qu’après l’avoir baisée, il ne reviendrait pas sur leur accord. Alors, puisqu’elle savait que les métamorphes étaient des surnaturels qui pouvaient être facilement contrôlés par le sexe, elle lui jeta un os à ronger. Prenant de plus en plus confiance, constatant qu’il ne la repoussait pas, la vampire tâta ses pectoraux. Bon sang, ce Viking était vraiment bien foutu. Il était musclé de partout. Kamila se doutait que sans son t-shirt, il aurait déclenché une émeute chez la gent féminine. Il devait même le faire avec ses vêtements vu l’aura de puissance qu’il dégageait. Mais ce qui était sûr c’était que n’importe qui perdrait la capacité de penser en matant les abdos d’acier qu’elle sentait en faisant courir ses mains sur le solitaire.

Lorsque ses doigts s’approchèrent de son bas ventre et effleurèrent sa ceinture, la princesse vit la mâchoire du métamorphe se contracter. Son plan fonctionnait ! Elle avait eu quelques doutes en se lançant, craignant que les changements dans son apparence ces dernières années lui aient fait perdre toute sa capacité à séduire un homme. Kamila avait jadis été une sublime femme qui faisait tomber les hommes à la renverse d’un seul regard. Seulement, son addiction et ses cauchemars constants lui avaient beaucoup coûté. Elle avait perdu du poids au fil des siècles et n’avait que la peau sur les os. Ses muscles s’étaient fait la malle avec ses quelques kilos tout comme ses formes sensuelles. Son teint maladif et ses cernes n’avaient rien d’envoûtant. Pour une vampire, elle avait perdu tout son charme. Alors, elle avait craint que ce métamorphe ne tombe pas dans le panneau. Mais visiblement, cela marchait.

Ces stupides mâles sont tous obsédés par le sexe, pensa-t-elle avec un faible sourire en coin lorsqu’elle vit une lueur traverser le visage sévère du Viking. Kamila ne parvint pas à reconnaître au premier abord le sentiment qui adoucit son regard vert clair. Elle frémit lorsqu’il lui effleura la joue avec une tendresse inattendue et son corps se crispa malgré toute sa volonté.

—  Détends-toi, Princesse. Je ne suis pas là pour te ramener auprès de cette pourriture de James.

—  Ah… non ?

—  C’est ton frère qui m’envoie. Dragomir.

Kamila se figea, hésitant à croire le métamorphe. Ce qu’il parut comprendre parce qu’il soupira et se frotta la tête, mal à l’aise.

—  On s’est déjà rencontrés, tu ne t’en rappelles pas ? Je suis l’un des membres de Nightfall qui a accompagné Andréas et Roxie au palais.

Non, elle ne s’en rappelait pas. La princesse n’avait pas prêté une grande attention aux solitaires de l’organisation. Elle était bien trop préoccupée par le retour d’Andréas et l’attention que Dragomir lui accordait. La seule qu’elle avait remarquée était la sorcière. Non seulement parce que Dragomir semblait être attiré par elle, mais parce que sa magie était très similaire à celle de James…

Repenser au sorcier tendit la vampire qui coula un regard méfiant au métamorphe. Elle ne le croyait pas. James devait se douter qu’elle ferait confiance au premier venu qui lui assurerait être envoyé par son frère la récupérer après sa nouvelle fuite. S’il avait épié les Ivanov, il devait savoir que les membres de Nightfall se trouvaient au palais et il avait cherché à en tirer profit pour l’attirer dans son laboratoire. Seulement, s’il y avait une chose que Kamila savait, c’était que Dragomir n’enverrait jamais un étranger la chercher. Pas alors qu’il y avait un risque pour qu’elle ne soit pas en état de se défendre seule. Jusqu’à présent, à chacune de ses fuites ou ses crises, le patriarche était venu la chercher lui-même pour la rassurer. S’il avait vraiment voulu la voir de retour après l’avoir rejetée, il se serait déplacé.

—  Tu mens ! cracha-t-elle, gonflée à bloc par la douleur vive qui la frappa.

Dragomir n’allait pas venir la chercher. Elle l’avait déçu et trahi… Il l’avait abandonnée et entendre ce métamorphe prétendre le contraire délitait le calme que l’hydromel était parvenu à lui offrir. Ses émotions et ses remords la submergèrent et elle craqua. Ignorant sa force actuelle, Kamila percuta le métamorphe. Pris de court, celui-ci recula maladroitement, offrant une ouverture à la vampire. Se ruant vers la porte, elle tenta d’en ouvrir le battant pour fuir, mais une main l’intercepta.

—  Écoute-moi, bordel, grogna le Viking en la tirant par le bras pour l’éloigner de la sortie. Je suis venu te ramener en Roumanie. J’ai assez perdu de temps à te chercher à Bucarest pour te laisser fuir maintenant. Alors, reste tranquille ou je vais devoir t’asso…

La princesse ne le laissa pas terminer. Se débattant telle une furie, elle s’empara de l’un des vases de Chine posés sur la commode à l’entrée et le lui fracassa sur le crâne. Un grondement féroce résonna dans la pièce et le métamorphe la relâcha. Kamila en profita pour traverser la pièce et tenter de trouver une seconde sortie. Ouvrant une porte, elle s’enfonça dans la salle de bains et pesta. Pas de fenêtre non plus ici. Cela n'aurait pas dû l’étonner. Le barman avait dit que le loft de son patron se trouvait au sous-sol. À l’évidence, il n’avait pas fait installer de fenêtres. Ne voulant pas perdre de temps, Kamila virevolta pour trouver une autre sortie. Seulement, le Viking se tenait devant l’entrée de la salle de bains, bloquant toute retraite possible. Saignant légèrement au niveau du front, il la fusillait du regard.

—  Ne m’oblige pas à te faire du mal, Princesse.

—  Tu n’as pas été envoyé par mon frère !

—  Ah ouais ? Alors tu crois que je te cherche par pure bonté d’âme ? Bordel, jura-t-il en passant une main sur la blessure à son crâne. J’aurais dû me douter qu’avec tout l’hydromel que tu t’es enfilé, tu serais aussi perchée qu’une chauve-souris sur le plus haut de tous les putains d’arbres !

Ignorant le Viking, Kamila attrapa par pur réflexe ce qui se trouvait près d’elle afin de s’en servir comme arme. Sauf que cette fois-ci, ses doigts ne tombèrent pas sur un vase mais… un bloc de savon. Le métamorphe arqua un sourcil et un rictus étira ses lèvres.

—  Désolé, mais j’ai déjà pris un bain dans le jet ce matin. Je n’ai pas l’intention d’en prendre un autre. Même si tu me tabasses avec ton bout de savon. Les félins n’aiment pas l’eau, c’est bien connu, non ?

—  Je ne retournerai pas là-bas ! s’écria Kamila, secouant la tête hystériquement, refusant d’entendre ce que disait le métamorphe. Je ne lui appartiens pas !

—  J’ai l’impression que tant que tu seras stone, tu ne m’écouteras pas, soupira le Viking en plissant les yeux pour la scruter avec attention. Peut-être que c’est toi qui devrais prendre un bain. L’eau froide t’éclaircira les idées.

Voyant le Viking se lancer vers elle, Kamila lui balança le bloc de savon à la gueule, espérant le distraire pour fuir de nouveau. Seulement, cette fois-ci, le tigre s’attendit à sa résistance. Évitant scrupuleusement son projectile, il se planta devant elle. Sans la moindre douceur, il la souleva d’un geste et la jeta presque dans la baignoire. Kamila geignit en percutant durement la surface en ivoire et voulut se lever… à l’instant même où un jet d’eau froide lui tomba dessus. Le métamorphe avait ouvert le robinet. La retenant d’une main dans la baignoire, il commença à la remplir et plaça le pommeau sur son crâne.

—  Lâche-moi, sale cabot ! s’époumona Kamila essayant de fuir sa prise, mais à chaque fois qu’elle se levait, le métamorphe la poussait avec force dans l’eau.

—  Ce n’est pas très gentil de me traiter de cabot, surtout que je n’en suis pas un. Je suis un félin, Princesse des pestes. Un tigre pour être plus précis. Alors c’est vexant d’être traité de chien. Si tu recommences, je vais me fâcher.

—  Va te faire foutre, espèce d’animal ! Ne me touche pas ! Je ne veux pas des mains d’une bête sur moi !

Kamila continuait à résister, repoussant la main du tigre posée sur sa poitrine. Son geste fit rire le Viking qui lui adressa un sourire carnassier.

—  Vraiment ? Pourtant ce n’est pas toi qui essayais de me séduire tout à l’heure ?

—  Je préférerais mourir que de laisser un cabot de ta trempe me toucher !

—  Tu n’écoutes vraiment pas quand on te parle. Tant pis, je t’aurai prévenue.

Lui lâchant le buste, le tigre posa la main sur son crâne et avant que la vampire ait le temps de réagir, il lui enfonça la tête sous l’eau. Kamila sentit ses poumons se remplir et sa gorge la brûler. Elle se débattit de toutes ses forces pour tenter de remonter à la surface, mais ayant perdu sa combativité, elle n’était pas de taille face au tigre. Son cœur s’emballa et la terreur s’insinua dans ses veines lorsqu’elle sentit qu’elle se noyait. Puis, subitement, on l’arracha de cet étau mortel. Inspirant avidement, Kamila toussa et cracha toute l’eau dans ses poumons. Le souffle court, elle lança un regard noir au métamorphe qui la soutenait sans ciller.

— As-tu assez dessaoulé pour m’écouter gentiment sans me causer d’autres maux de tête, Princesse ?

—  Va. Te. Faire. Foutre. Sale. Cabot.

Agrippant sans l’ombre d’une hésitation sa crinière trempée, le métamorphe lui remit la tête sous l’eau. Cette fois-ci, il la laissa plus longtemps, jusqu’à ce qu’elle n’ait plus la force de tirer sur sa prise. Jusqu’à ce qu’elle sente ses poumons se vider d’air. Mais au bout du compte, il l’extirpa de l’eau. S’étouffant presque avec l’air qu’elle aspira frénétiquement, Kamila trembla sous l’effet de cette séance de torture qui venait accentuer sa détresse. Cependant, elle n’était toujours pas décidée à baisser les bras. Elle ne retournerait pas chez James sans se battre. Pas même si le combat était perdu d’avance…

—  Toujours pas décidée à être une gentille petite princesse à ce que je vois, soupira le tigre, sourcils froncés. Très bien. Appelons-le dans ce cas.

La relâchant complètement sans s’écarter toutefois de son chemin pour l’empêcher de quitter la baignoire, le Viking sortit un téléphone de sa poche et composa un numéro.

—  J’ai trouvé ta sœur, lança-t-il sans préambule à celui qui venait de décrocher. Elle croit que je veux l’emmener chez ce cinglé de sorcier et me résiste. Est-ce que tu pourrais lui dire de se comporter correctement avant que je perde patience et la noie définitivement dans cette foutue baignoire ?!

Le métamorphe n’attendit pas de réponse et posa l’appareil contre l’oreille de la vampire. Kamila se tendit instantanément en reconnaissant la voix de Dragomir.

—  Une baignoire ? Quelle baignoire, métamorphe ? Allô ?! Tu vas me répondre, bon sang ?!

—  Drago ? souffla la vampire, perplexe.

—  Kam ? Kam, tu vas bien ?

—  Je… Oui…

Kamila vit que le métamorphe arqua un sourcil devant sa réponse. Elle aurait pu lui dire qu’il tentait de la noyer pour qu’il lui casse les pieds au téléphone, cependant, elle n’en fit rien. Car elle ne croyait toujours pas que c’était son frère.

—  Je n’y retournerai pas, dit-elle en tremblant. Tu ne m’auras pas comme ça, sorcier.

—  Je ne suis pas James, Kam. C’est moi, Dragomir.

—  Si c’est vrai, prouve-le-moi. Dis-moi quelque chose que seuls Dragomir et moi savons.

—  Que je te dise quelque chose que seuls toi et moi savons ? Euh…

Un silence se fit de l’autre côté du combiné. Kamila savait que James pouvait très bien utiliser un sortilège pour la tromper. Il connaissait la voix de son frère et puisqu’il était un puissant jeteur de sortilèges, il n’aurait aucun mal à en créer un pour l’imiter afin de la piéger. Alors elle voulait qu’il lui prouve qu’il était vraiment Dragomir.

—  Ah j’ai trouvé ! s’exclama l’homme au téléphone. La veille de ma nomination au poste de patriarche, tu m’as surpris dans ma chambre en train de nettoyer mon épée… Tu savais parfaitement d’où je venais. Tu savais que j’étais allé tuer notre père sur le champ de bataille pour prendre sa place tout en m’assurant que les sorcières soient accusées pour son meurtre. Cette nuit-là, je ne suis pas parvenu à prononcer un seul mot. J’avais tué notre père pour libérer notre famille des traditions et tenter de vous protéger, toi et Andrei. Et même si tu étais soulagée de savoir que le règne d’Harel était terminé et que tu allais enfin avoir une chance de briller dans la lumière, tu as pleuré. Pas pour lui, mais pour moi. Pour ce que j’avais fait. Car si Harel a toujours été un homme froid avec toi, il a agi en bon père pour moi. Et tu savais que le tuer de mes propres mains pour ma fratrie m’avait brisé le cœur. Tu as pleuré pour moi parce qu’en étant devenu patriarche en agissant ainsi, je n’avais pas le droit de pleurer sa mort. Alors, tu l’as fait pour moi. Tu es venue me prendre dans tes bras et tu es restée là jusqu’à ce qu’on vienne nous avertir officiellement de la mort de Père.

Fermant brièvement les yeux, Kamila inspira difficilement. C’était lui. C’était vraiment Dragomir. La jeune femme n’arrivait pas à comprendre pourquoi il avait envoyé un étranger la chercher alors qu’il aurait pu venir lui-même comme il l’avait toujours fait. Cependant, elle n’avait plus aucun doute sur son identité car ni elle ni le patriarche n’avaient raconté cette histoire à quiconque. Ils n’avaient jamais admis avoir comploté pour tuer Harel Ivanov, l’ancien patriarche de la maison, car autrement, cela aurait brisé la confiance que leurs soldats avaient en eux.

—  Kam, écoute-moi, d’accord ? continua Dragomir d’une voix stricte qu’elle n’aimait pas. Le métamorphe va te ramener à la maison. Ne le combats pas et fais ce qu’il te demande.

—  À la maison ?

—  Fais juste ce que je te dis, d’accord ? Tout ira bien, Kam.

Et pour la première fois de sa vie, la vampire ne crut pas son frère. Car elle comprenait enfin pourquoi Dragomir n’était pas venu la chercher lui-même. Il lui en voulait. Il était toujours furieux qu’elle ait laissé son addiction devenir la faiblesse de la maison Ivanov. Et bien qu’elle soit partie à sa demande, à l’évidence, il voulait la punir comme n’importe quel patriarche le ferait à sa place. Voilà pourquoi il avait envoyé un étranger la chercher. Il voulait lui faire comprendre qu’il n’aurait pas pitié d’elle en tant que frère et qu’il agirait comme un patriarche. Kamila sut à cet instant qu’elle allait tout de même devoir trouver un moyen de fuir ce métamorphe. Car les Ivanov n’étaient pas cléments avec les traîtres. Et c’était ce que son addiction l’avait forcée à devenir…
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